dimanche 2 novembre 2008

Les larmes de Shiva

L'évènement n'eut rien transformé dans l'esprit de Teren, sans l'addition subtile des offrandes qui se démultipliaient dans un univers onirique. La chaîne de petites fleurs blanches étoilées, qu'elle portait à son cou, diffusait un parfum qui subjuguait lentement toutes ses pensées, et surtout les plus sombres d'entre elles. Depuis douze années, elle n'avait cessé de nourrir l'espoir qu'un jour, parmi des milliers d'autres hommes, son « ami des merveilles » jaillirait soudainement et l'emporterait dans son monde. Comme un oiseau qui scrute les fêlures de l'écorce, par-dessus et par-dessous les branches d'un arbre exposé en plein ciel, elle tournait sur elle-même, espérant et espérant toujours redécouvrir cet autre qu'elle avait aimé de toute son âme.

Elle referma la boîte remplie. Et, dans sa robe de coton bleu achetée la veille chez un marchand musulman, elle joignit les paumes de ses deux mains près de sa poitrine, se pencha légèrement, puis sorti de l'emprise hypnotique des entités volatiles qui maintenant sommeillaient au fond du coffret de santal. Oublier, c'est perdre. Pensait-elle. Mais, de probabilités en probabilités, elle en vînt au fait : un espoir sans fondements ne pouvait que la mener vers les conditions d'une existence insatisfaisante. Les images percutent les mémoires et, parfois, comme des atomes bombardés de fausse lumière, créent des saveurs sans lendemains. Teren oublia un temps ce qu'aimer signifiait. Elle s'était repliée. Pourtant, ce matin, elle eut envie de donner. Elle s'éveilla au sens du geste des mains jointes au coeur : « Anjali », qu'elle faisait machinalement chaque jour à chaque rencontre. Elle compris en même temps ce que le don pouvait être, espace vide pour soi-même afin de recevoir pour l'autre. Ses yeux clos, le regard tourné vers ses profondeurs, elle chanta le « pranava », la syllabe magique « om ».

Les bougies brûlaient au milieu des pèlerins venus nombreux pour la nuit de Mahadeva. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées dans l'enceinte du temple d'Arunachala. Shankar se trouvait près du bassin sacré dédié à Shiva, le noir, dans une cuisine où l'on alimentait un foyer pour la cuisson du riz. Assis sur les talons, il fixait le gendarme dans le feu, bleu et transparent comme le corps éthéré de l'univers. Il murmurait :
- L'esprit s'élève plus facilement quand on a le ventre vide.