mercredi 25 février 2009

Le temple de la paix suprême.

« Pourquoi as-tu douté ? »

Matthieu 14:31

Pour la première fois je rencontrais Shantidas, devant le temple ; là, assis derrière une palissade, il observait froidement les faits et gestes des pèlerins qui passaient par dizaines, venus demander une faveur ou remercier les saints pour une grâce quelconque reçue opportunément. Je n’avais pas mis les pieds dans le bassin destiné aux ablutions ni même lavé mon esprit dans les prières au levé du jour, car ce matin toute maladie physique ou spirituelle semblait m’avoir quitté.

Je m’approchais en m’adressant au maître sans aucune débilité morale, sans aucune crainte mais avec respect :

— « bonjour swami ! »

— « Namasté », répondit le maître tout en maintenant son regard fixe sur les passants. Cela ne me choqua nullement, car je commençais à percevoir le message dans l’expression globale de cet homme, avant même qu’il eût prononcé une seule parole.

— « Je voudrais vous poser une question, maître, question à laquelle vous avez déjà certainement répondu, et que vous pourriez balayer définitivement de mon esprit par une explication rationnelle. Vous savez l’importance qu’ont les mots dans le langage des mortels. A quel moment le soi, l’être intérieur fait-il son apparition dans la vie de tous les jours, et comment le reconnaît-on pour ce qu’il est ? » Ainsi la question était posée, et avec elle me laissait toute naïveté.

— « Je vois, mon ami, que vous avez vous-même éclairci un point dans votre conscience. Les questionnements peuvent laisser perplexe un temps, mais toujours arrive un moment où la lumière reprend sa place dans l’esprit. C’est lorsque vous décidez de voir en vous ce qu’il y a de plus vrai, de plus authentique et de plus dynamique ; c’est lorsque s’éveille spontanément cette faculté du discernement, qu’en un miroitement vous percevez votre moi profond. Dans cette perception, instantanée, de la permanence, il y a une identification naturelle avec la partie sensible de l’être, l’âme ou atman. »

— « Est-ce ainsi que tous les hommes se retrouvent eux-mêmes après avoir sondé tous les abîmes de la conscience, dans les multiples expériences de la vie, les bonnes et les moins bonnes, les douloureuses et les satisfaisantes, les joies éphémères mondaines et les batailles frustrantes qui culminent dans les relations sociales ? »

— « Mon ami, chaque individu mène son propre combat sur le chemin de la vie. De fait, chacun développe en lui-même et pour lui-même ses propres facultés d’intelligence et de compassion, qui l’aideront peu à peu à se faire une idée de son existence. Chacun d’entre nous est unique, différent, et rien ne peut nous empêcher de construire cette différence qui est la richesse même de l’humanité. Toute personnalité éprouve un jour la futilité des expériences qui l’ont mené jusqu’à ce point de crise. Ce carrefour où le désir rencontre son extinction, où l’envie se renverse comme le sablier, et l’émotion face à ce qui est extérieur, ce qui est autre, se transforme en joie.

Dès lors, l’observation se porte vers l’intérieur, vers la qualité des choses, vers l’âme, et le sens des événements apparaît de plus en plus clairement. Dès lors l’attraction et la répulsion dans les contacts sont soumises à la loi d’amour et non plus aux excès de la confusion. Les luttes n’ont plus lieu d’être. Ce qui constituait la voie d’éclairement de la personnalité dans sa singulière illusion n’est plus qu’un chemin de poussière. Le chemin de Damas est universel, tous l’empruntent tour à tour. Chaque personnalité découvre l’amour pour toute vie ; mais chacun le découvre selon son mode...

Nul ne peut trouver pour un autre et nul ne peut savoir ce qu’un autre va découvrir en lui-même au moment de son illumination. Cet instant appartient à l’unique expérience spirituelle qui ouvre la voie vers la liberté. Voilà, mon ami, ce que vous avez saisi depuis longtemps. Votre tâche est maintenant d’aimer. Aimer les plus pauvres, les plus simples, car en vérité ils sont bien près de s’émanciper. Cette vie, par l’âme choisie, offre aux « petits » un véritable sanctuaire de métamorphoses, dans leur ascension spirituelle. Aidez à résoudre les conflits. Cultivez l’attachement pour ce qui élève les hommes au-dessus des conditions de misère et développez votre foi en un destin humain éternel. »

Après cette exposition aux paroles du maître, je me sentais débarrassé de tout ressentiment et de mes craintes. Je fixais les vagues de la foule, les pèlerins qui avançaient et retournaient, et cela, pendant que mon souffle restait suspendu à une seule pensée : être amour.