dimanche 8 novembre 2009

Wings of Desire (1987) - Dir. Wim Wenders

L'incarnation; Lange me parlait de ce qu'il entendait tandis que je lisais ses lèvres au-dessus d'un verre remplit de vodka.
Charles Horace

lundi 3 août 2009

Lange

Pendant quelques jours, j’avais tenté de convaincre deux ou trois amis à faire le voyage ensemble. Mais, loin d’emballer, j’avais réussi à me faire passer pour un allumé. Aussi, un soir, pendant que je prospectais le désir des uns et des autres essayant de dénicher un ou deux complices, on ri tant de l'étalage de mes idées que j’en étais venu à me demander si ça tournait bien rond dans ma tête. Alors que je présentais certains aspects de mon projet, et que l’on fumait tous voluptueusement, chacun tirait un malin plaisir à sortir une connerie qui faisait éclater tout le monde dans un fou-rire interminable.
— On pourrait se rendre à la colline du temple d’Arunachala, par exemple, et assister à la fête du sommeil de Shiva... J’essayais d’être sérieux, malgré le poids d’un cynisme rieur qui attendait de moi une perte d’élan pour me reprendre sans pitié.
— Eh, ouai ! On fumera du « charasse » (qualité de haschich qui se fume dans un chilom) toute la nuit... coupa Hamid. Et Tito de renchérir :
— Dans un didgeridoo branché sur une noix de coco. Ha ! Ha ! Ha…
Et ça continuait. Gilles eu cette inspiration sûrement émané d’un diablotin :
— Et pourquoi pas atteindre le nirvana par la branlette devant les statuettes d'un temple tantrique, ou le satori pendant la cueillette du thé dans l’Himalaya durant trois semaines seulement nourri/logé. On s’enverra des lettres en plastique sous la mousson, accessoirement Madame de Sévigné avec des palmes et un tuba...
Nous étions sciés. Les uns suffocant sous les rires et la fumée, les autres alertes et responsifs au dernier degré de la dérision. Au bout d’un moment Kico obtempéra.
— Si je pouvais, je partirais maintenant. Je prendrais un billet — destination inconnue —, j’irais au soleil. Et surtout, je prendrais le temps de vivre. L’idéal serait de zoner pendant plusieurs mois, de voyager mais en prenant tout mon temps, en visitant les villages paumés, et surtout en essayant de vivre comme eux. Et il ajouta : pour apprendre...
— Et qu’est-ce qui t’en empêche ? coupa Gilles. Avec tes responsabilités de ministre tu vas pas manquer...
— Non c'est le fric, déclara Kico, exaspéré. Avec mon salaire tu vas pas loin.
— Eh bien, tu n’as qu’à faire quelques vendanges ! Arguais-je.
— Il trouvera le nirvana dans une cuve de vin ! déclama Hamid, dans une absolue compassion pour son pote d’enfance.
Chacun trouvait quelque chose à redire, et nul ne s’engageait vraiment dans cette perspective de voyage culturel d'intérêt commun, n'approuvait publiquement ni le choix de la destination ni la valeur d'un tel projet.
Affamé par cette joute oratoire burlesque, qui n’avait heureusement d’affront que l'apparence, je me rendis chez Bouden, l’épicier du coin.
— Salut Bouden. Comment ça va ?
— Salut mon ami. Ca va, ça va. Je regarde la télé, ça passe le temps.
Il était toujours assis — entre rires et silences —, dans une espèce d’inquiétude discrète, mais lisible au bord de son visage arrondi et marqué par de larges rides. Je connaissais quelques raisons qui le tourmentaient. Mais j’évitais toujours d’aborder un de ces sujets aux contours cramoisis. Sa femme et ses enfants étaient en Algérie. Lui travaillait en France, depuis longtemps déjà. Mais ils ne pouvaient venir... Question de finances ou raisons politiques, je ne voulais pas en savoir davantage. Chaque fois que la radio relatait des cas semblables, je ne contenais que très difficilement mes émotions qui pouvaient me donner l'envie d'hurler. Comme pour d’autres affaires sensibles, c’était comme si l’on avait touché au plus profond de mon humanité, mon être, à quelque chose de très intime en somme.
J’ai trop parlé et maintenant j’ai soif, dis-je. Je pris deux bouteilles de jus de fruits et une bouteille de bière.
– Je vais prendre aussi des petits gâteaux. Je suis avec des copains. On bavarde, on bavarde, ça passe le temps !
– J’ajoutai ces mots frivolement, sans penser une seconde à ce qu'ils pouvaient bien bousculer dans la solitude de mon ami. Lequel se retrouvait seul chaque fois qu’un client quittait son magasin.
Pendant qu’il faisait le compte de mes achats, je réalisais intérieurement la maladresse. Une habitude, une impulsion d'une naïveté extrême et suspecte. Des réactions instinctives incontrôlées, qu’une amie avait notées, au bout de quelques semaines d'échanges lors d'un travail ensemble dans un foyer éducatif. Elle me livra cette information d’une manière assez franche, au milieu de nos collaborateurs, dans l'une de nos réceptions hebdomadaires et bancales qui me gonflaient au plus haut point. « Tu es maladroit », avait-elle lâché sèchement. Certes, nous étions en cercle privé, entre « éducateurs », mais ça ne l’empêcha pas de quitter l’assemblée, tant elle était gênée par sa propre colère. Cela souvent je l'ai remarqué, ce qui se dit pour les autres compte aussi pour nous-mêmes.
— Voilà mon ami ! Le pauvre homme tendit la monnaie avec son air habituel, au fond, celui d’un père résigné.
— Allez, salut Bouden ! A bientôt ! Ajoutais-je, comme pour l’assurer de ma compagnie pendant qu’il traverserait encore ses putains d'épreuves.
Là-haut, au troisième étage, les copains dissertaient sur des questions d’ordre social, de manière aléatoire, au gré des chansons propulsées par les ondes et que choisissaient les clients anonymes d’une radio-maton. Tout le monde se rafraîchit en même temps. « Bière, jus de raisin, jus d’orange ». La fumée s’était épaissie autour de la lampe halogène. Les corps gisants dans les vieux fauteuils de skaï s’appesantissaient au fur et à mesure que tournaient les joints ; les remettre d’aplomb c’était travailler comme Sisyphe. Est-ce à dire impossible? Rester là pour moi devenait de plus en plus pénible.
Le « Berlin » de Lou Reed tournait maintenant en continu... Hervé se leva le premier.
— Bon, j’y vais ! dit-il, tiens moi au jus. Je vais réfléchir. Ca me branche bien.

mercredi 25 février 2009

Le temple de la paix suprême.

« Pourquoi as-tu douté ? »

Matthieu 14:31

Pour la première fois je rencontrais Shantidas, devant le temple ; là, assis derrière une palissade, il observait froidement les faits et gestes des pèlerins qui passaient par dizaines, venus demander une faveur ou remercier les saints pour une grâce quelconque reçue opportunément. Je n’avais pas mis les pieds dans le bassin destiné aux ablutions ni même lavé mon esprit dans les prières au levé du jour, car ce matin toute maladie physique ou spirituelle semblait m’avoir quitté.

Je m’approchais en m’adressant au maître sans aucune débilité morale, sans aucune crainte mais avec respect :

— « bonjour swami ! »

— « Namasté », répondit le maître tout en maintenant son regard fixe sur les passants. Cela ne me choqua nullement, car je commençais à percevoir le message dans l’expression globale de cet homme, avant même qu’il eût prononcé une seule parole.

— « Je voudrais vous poser une question, maître, question à laquelle vous avez déjà certainement répondu, et que vous pourriez balayer définitivement de mon esprit par une explication rationnelle. Vous savez l’importance qu’ont les mots dans le langage des mortels. A quel moment le soi, l’être intérieur fait-il son apparition dans la vie de tous les jours, et comment le reconnaît-on pour ce qu’il est ? » Ainsi la question était posée, et avec elle me laissait toute naïveté.

— « Je vois, mon ami, que vous avez vous-même éclairci un point dans votre conscience. Les questionnements peuvent laisser perplexe un temps, mais toujours arrive un moment où la lumière reprend sa place dans l’esprit. C’est lorsque vous décidez de voir en vous ce qu’il y a de plus vrai, de plus authentique et de plus dynamique ; c’est lorsque s’éveille spontanément cette faculté du discernement, qu’en un miroitement vous percevez votre moi profond. Dans cette perception, instantanée, de la permanence, il y a une identification naturelle avec la partie sensible de l’être, l’âme ou atman. »

— « Est-ce ainsi que tous les hommes se retrouvent eux-mêmes après avoir sondé tous les abîmes de la conscience, dans les multiples expériences de la vie, les bonnes et les moins bonnes, les douloureuses et les satisfaisantes, les joies éphémères mondaines et les batailles frustrantes qui culminent dans les relations sociales ? »

— « Mon ami, chaque individu mène son propre combat sur le chemin de la vie. De fait, chacun développe en lui-même et pour lui-même ses propres facultés d’intelligence et de compassion, qui l’aideront peu à peu à se faire une idée de son existence. Chacun d’entre nous est unique, différent, et rien ne peut nous empêcher de construire cette différence qui est la richesse même de l’humanité. Toute personnalité éprouve un jour la futilité des expériences qui l’ont mené jusqu’à ce point de crise. Ce carrefour où le désir rencontre son extinction, où l’envie se renverse comme le sablier, et l’émotion face à ce qui est extérieur, ce qui est autre, se transforme en joie.

Dès lors, l’observation se porte vers l’intérieur, vers la qualité des choses, vers l’âme, et le sens des événements apparaît de plus en plus clairement. Dès lors l’attraction et la répulsion dans les contacts sont soumises à la loi d’amour et non plus aux excès de la confusion. Les luttes n’ont plus lieu d’être. Ce qui constituait la voie d’éclairement de la personnalité dans sa singulière illusion n’est plus qu’un chemin de poussière. Le chemin de Damas est universel, tous l’empruntent tour à tour. Chaque personnalité découvre l’amour pour toute vie ; mais chacun le découvre selon son mode...

Nul ne peut trouver pour un autre et nul ne peut savoir ce qu’un autre va découvrir en lui-même au moment de son illumination. Cet instant appartient à l’unique expérience spirituelle qui ouvre la voie vers la liberté. Voilà, mon ami, ce que vous avez saisi depuis longtemps. Votre tâche est maintenant d’aimer. Aimer les plus pauvres, les plus simples, car en vérité ils sont bien près de s’émanciper. Cette vie, par l’âme choisie, offre aux « petits » un véritable sanctuaire de métamorphoses, dans leur ascension spirituelle. Aidez à résoudre les conflits. Cultivez l’attachement pour ce qui élève les hommes au-dessus des conditions de misère et développez votre foi en un destin humain éternel. »

Après cette exposition aux paroles du maître, je me sentais débarrassé de tout ressentiment et de mes craintes. Je fixais les vagues de la foule, les pèlerins qui avançaient et retournaient, et cela, pendant que mon souffle restait suspendu à une seule pensée : être amour.