samedi 6 mai 2017

Le bain des dauphins

Comme chaque matin au lever, je regardais attentivement Ramaya qui renouait sa tresse. J’aimais ses longs cheveux noirs. Ils sentaient le jasmin et l’huile de coco, ou le santal, selon le jour, et brillaient sous la lampe de notre petite chambre. La nuit, on entendait les vagues, et les souffles...

Au bord de l’eau, je pensais à nous, à la nuit avec ses bruits, ses mystères et ses étoffes de coton et de soie moites. Pendant que les autres faisaient des prières ou des austérités, je laissais mon coeur s’enflammer librement. Un cortège de dauphins nageait vers le nord, tous les jours à la même heure on pouvait les apercevoir au-dessus de la ligne d’eau qui marque la fin du ciel. Quelques sauts arrondis pour donner un rythme à leur voyage quotidien. Les dauphins nagent sur le fil qui unit le ciel et la terre, devant l’horizon blanchi découpé par des nuées d’un blanc cendré.

Au retour, j’écoutais les crépitements des feuilles d’eucalyptus sous mes pieds, qui tombaient doucement chaque jour sur le sable et séchaient sous un soleil de fer. Et, à peine arrivé, je racontais tout. Tout ce que m’avaient murmuré les vents sur la plage, près de la vieille Pagode en pierres qui était menacée par les vagues de l’océan. Ramaya souriait généreusement dans sa chandelle de soie bleu ciel. Pendant ce temps, elle préparait le thé que nous allions prendre, accommodé avec de petits gâteaux secs et des chants mélodieux. Installé dans un modeste confort, j’écrivais tous les jours en l’adorant; elle était mon «Ishta devata», la forme de mon adoration. Elle ne voulait rien dire, mais ses yeux disaient tout.

Quand le soleil était déjà haut, et qu’il faisait chaud, Gopi s’agitait. On ne tenait pas facilement sans rien faire. Pour moi, c’était : douche, lecture ou balade... Lorsque je le questionnais, il me répondait assez franchement des choses simples, très simples. Des choses toutes bêtes, comme mes questions d’ailleurs. Personne ne pouvait imaginer cela. Je lui demandais ce qu’il pensait de la vie, et il me répondait: «I don’t know!». Il voulait faire comprendre quelque chose avec son petit anglais et son accent madrasi. J’essayais de ne pas trop réfléchir à cela. Puis il partait tranquillement, pour des heures, en ville. Lorsque nous étions seuls, Ramaya et moi, nous passions de longs moments ensemble dans la contemplation, nous traversions progressivement de longs stades d'un silence qui nous apportait le calme et le bien-être.

Rien que pour nous, rien que pour s’aimer d’une autre manière, nous invoquions les divinités hindous, celles de la grâce et de la beauté, Sri Lakshmi et Nârâyana avec sa conque, son disque d’or, sa masse et la fleur de lotus. Les brahmanes du temple de l’éléphant m’avaient éclairé sur le sens des gestes et des mouvements du corps. Ils me révélèrent quelques unes de leurs connaissances à propos du yoga, la science royale de l’union. Les jambes croisées et le buste droit, la nuque détendue, je pratiquais sans excès un ou deux exercices par jour. Le plus important, avais-je saisi, c’était de contrôler mon souffle.

Le souffle vital, comme le vent pousse les vagues, reconduit notre âme dans le ciel, disaient-ils. La posture est également très importante. L’attitude du corps dans les occupations de l’esprit est fonction de nos qualités acquises au cours de notre périple depuis la première naissance. La vie d'ici-bas, c’est la vie tout court. L’hindou se réincarne encore et encore jusqu’à la libération finale, jusqu’à l'extinction du désir d'être un être séparé du grand tout, cause d'illusion, pour atteindre le Samadhi, une éternelle vérité dans la grande union cosmique.

Charles Horace, Un soir chez Lange.

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