lundi 17 novembre 2008

Les larmes de Shiva...

- Tu ressembles à Sri Ramana, lançais-je à l'un d'eux. Tous restaient silencieux. Le plus hardi, celui que j'avais visé fit un pas vers moi, et, sans geste particulier, se contenta de me répondre simplement d'un sourire presque satisfaisant. Alors je questionnais franchement.
- Que vas-tu faire là-haut ?
Tout en maintenant son sourire, il me renvoya la question :
- Et toi ?
- C'est pour voir la plaine dans toute son étendu. Et, aussi, pour réussir un exploit physique parce que je ne suis pas très sportif dans la vie courante.
- As-tu eu connaissance des enseignements de Sri Ram ? Me demanda-t-il.
- Oui. J'aime la personne, le maître et sa joie.
- Es-tu satisfait ?
- Non. Je crois qu'il me manque encore quelque chose.
- Ah bon ! Pourquoi ? Sri Ram disait : « Si vous êtes satisfaits, je suis heureux ».
- Alors je serai bientôt satisfait, et toi bientôt heureux. Lui dis-je.
Nous nous quittâmes sur ces mots, silencieusement. Je reprenais le chemin et partais le premier. Le groupe demeura dans son silence et me suivit, à quelques mètres de distance, dans mon pas. Après deux bonnes heures de grimpe sous le soleil, j'arrivais enfin au top. Il faisait bon. Un vent rafraîchissant me frôlait en permanence. J'entendais distinctement les bruits de la ville, surtout les klaxons. Les indiens aiment klaxonner, ils expriment de cette manière ce qui les rend heureux : le mouvement. Dessous les nuages qui s'étalaient autour du sommet je contemplais Tiruvanalaleï, la sainte cité, centre de pèlerinage d'un monde pieu. Au loin, sur toute la plaine, se concentrait un brouillard, une nappe de coton d'un blanc bleuté encore humide.
Je déposais mon sac et mon bâton. J'avais gravi Arunachala, la colline sacré, le centre du monde des initiés shivaïtes, le saint des saints, le Mahat guru duquel émane l'Enseignement des enseignements. Le saint homme, Sri Ramana Maharishi, avait vécu dans cet univers. Chaque grotte l'avait abrité, chaque sentier l'avait porté pendant ses extases. Chaque pierre, chaque plante, chaque animal, craintif ou féroce, l'avait connu et entendu prier. Tout juste assis au sommet, je perçus dans mon retrait une voix qui appellait doucement. Je me levais et m'approchais en découvrant un groupe de yoguis assis derrière les petits feuillus. Trois brahmanes étaient en méditation près d'un saddhu en retrait total. Une quatrième personne préparait un repas qu'il m'invitait bientôt à partager. Celui-ci, en s'approchant, me confia respectueusement :
- Baba médite depuis trois ans, il est entré en samadhi le bienheureux, et nous nous relayons chaque jour, chaque nuit pour veiller auprès de son âme !
Le thé fut servi, suivi d'un bouillon de légumes très clair et accompagné de quelques cacahuètes. Ce qu'il y avait d'insolite à ce moment, c'était la diversité des hôtes et la simplicité du partage. Les convives augmentaient rapidement au fur et à mesure que les aliments étaient distribués. Tous les écureuils de la montagne semblaient être conviés, ils venaient pour prendre les petits bouts de charité qu'ils partagaient, non sans réserve, avec les rats et les singes voisins. Il me paraissait qu'on tirait les bouts jusqu'à ce qu'ils arrivent à ceindre le tour de taille de tous. Le saddhu restait dans sa posture immuable, le regard lointain, les lèvres trempées de temps en temps avec du thé de la main d'un brahmane tout dévoué et digne.

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